Discours d’Alain Avello
Président de Racine
Conférence de Tours, 16 septembre 2017
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis ravi de vous retrouver ici, à Tours, pour notre événement de rentrée, et je tiens à vous remercier pour votre accueil en Indre-et-Loire, où nous lançâmes, il y a déjà trois ans, le 20 septembre 2014 précisément, l’une des premières sections départementales de Racine.
L’événement d’aujourd’hui s’intercale entre deux dates anniversaires qui sont des dates importantes pour notre organisation : d’abord, la Réunion programmatique du 3 septembre dernier, à laquelle un certain nombre d’entre vous participèrent, et au cours de laquelle nous avons finalisé nos « 100 propositions pour l’Ecole et l’Université de demain » ; ensuite, la Convention présidentielle du 22 septembre qui marqua l’entrée de notre organisation dans la campagne. Dans le cadre de l’élection présidentielle, nous avons en effet eu pour mission non seulement d’élaborer le texte programmatique qui a fourni sa matière à la partie éducation du Projet, mais nous avons également porté la parole de la candidate sur les questions qui relèvent de notre domaine de compétences.
L’un des objets de notre événement d’aujourd’hui, et je vais débuter par là, est de dresser le bilan de cette campagne présidentielle. Il nous faut donc revenir sur la réception de nos « 100 propositions », et, sur la base de ce bilan, tirer les enseignements de ce qui a fonctionné ou, au contraire, n’a pas fonctionné. Nous devons en effet, et c’est la troisième dimension de l’événement d’aujourd’hui, tirer des leçons pour l’avenir et tracer des perspectives de développement. Je ne sais à ce propos ce qu’il en sera des autres collectifs, et notamment du Collectif Nouvelle écologie, dont le représentant local, Pascal Plaza, est présent parmi nous aujourd’hui, et que je salue, mais il est évidemment hors de question pour Racine de s’arrêter là : Racine poursuivra bien sûr ses activités, au-delà de cette première phase, la relative déception suscitée par les résultats des deux derniers scrutins, particulièrement ceux des législatives, ne se traduisant de notre côté par aucun découragement. Même si les formes de notre engagement sont vouées à évoluer, même si nos coopérations sont elles aussi susceptibles de connaître des changements, il ne fait aucun doute, pour nous, que nous poursuivrons et amplifierons le combat !
En matière de bilan, je voudrais partir du paradoxe suivant : notre texte programmatique, les « 100 propositions pour l’Ecole et l’Université de demain » constituaient, je le crois et je crois que nous en sommes tous ici persuadés, le meilleur, et de loin, des programmes éducatifs de cette présidentielle. Un indice, et c’est Marc [Chapuis] qui m’a signalé ce fait : nos propositions ont été très largement plagiées par un autre mouvement politique, jusqu’à constituer le projet éducatif de son candidat : Nicolas Dupont-Aignan (le fait est avéré, puisque des phrases entières sont reprises, et à la virgule près)… Mais, deuxième terme du paradoxe, malgré ce texte programmatique, dont nous pouvons très légitimement nous enorgueillir, nous n’avons pas été, c’est l’évidence, véritablement ou en tout cas suffisamment audibles. Et puisque, après le bilan, ce seront des perspectives à suivre que nous nous emploierons à tracer, nous devrons bien sûr réfléchir sur les solutions à mettre en œuvre pour accéder à cette audience, qui nous a largement fait défaut.
Tout au long de la campagne présidentielle, nous nous sommes efforcés d’être au plus près de nos compatriotes : nous avons systématiquement et soigneusement répondu à l’ensemble des questions posées à la candidate – et je remercie Marc [Chapuis] pour son énorme travail de réponse aux courriels qui lui étaient adressés – ; nous avons représenté la candidate à l’ensemble des événements auxquels on voulait bien nous convier ; et nous avons, autant qu’il nous était possible, tissé et cultivé des liens avec l’ensemble des organisations et des associations qui manifestaient leur adhésion ou leur intérêt à l’égard des perspectives programmatiques que nous avions tracées.
Voici, sans prétendre entrer dans une énumération exhaustive, les moments-clés de la campagne présidentielle telle que j’en fus acteur, en tant que conseiller éducation (membre du Conseil stratégique de la campagne) et président de notre organisation :
J’ai honoré l’invitation des Semaines sociales de France (association centenaire défendant la doctrine sociale de l’Eglise) pour sa session annuelle qui se tenait parc de la Villette, où j’ai pu, aux côtés de spécialistes éducation des autres candidats, et devant 3000 personnes, exposer nos perspectives, avant une passe d’arme avec Philippe Meirieu qui représentait EELV. J’ai également porté nos propositions devant le SGL (Syndicat Général des Lycéens) qui invitait les candidats à la présidentielle ou leurs représentants sur les questions d’éducation. Dans le même temps, je rencontrais diverses associations, avec lesquelles les échanges furent souvent fructueux, au nombre desquelles l’UGEI (Union des grandes écoles indépendantes), l’APEL (principale association de parents d’élèves de l’enseignement privé sous contrat), SOS Education qui m’a questionné dans le cadre de son « Grand oral » des candidats (ou de leurs représentants).
Plusieurs associations nous ont officieusement témoigné leur adhesion à nos propositions, quand, dans le même temps, nous n’étions pas invites aux événements organisés par d’autres, à la difference des représentants des autres candidats : par exemple, le Collectif Condorcet, qui se présente pourtant comme regroupant « des enseignants et des parents d’élèves qui refusent les réformes mettant à mal l’Education Nationale » ou, sans trop d’étonnement, la FCPE (principale association de parents d’élèves de l’enseignement public).
En termes de couverture médiatique, nous avons dû, dans la première période de la campagne du moins, nous contenter d’interviews comparatives mettant en regard nos propositions et celles portées par d’autres candidats : par exemple, le 3 février, Public Sénat nous interrogeait sur l’équilibre public/privé ; le 4, Le Figaro comparait nos postions sur l’autonomie des établissements avec celles des autres candidats (tous favorables, à notre différence, à plus d’autonomie encore) ; Le Monde du 6 mars comparait quant à lui nos conceptions de la place revenant à l’enseignement privé hors contrat.
Je fis par ailleurs deux débats sur RFI : un premier intitulé « Election présidentielle : quelle Ecole dans les programmes des candidats ? », le 7 avril, et un second, pendant l’entre-deux-tours, contre François de Rugy.
Durant cette période, la couverture médiatique devint enfin plus intense : le 4 mai 2017 (lendemain du débat), j’étais l’invité du 5-7 de France Inter et le 5, j’intervenais brièvement dans le journal de France Culture sur la fonction assimilatrice de l’enseignement du français à l’Ecole primaire.
Enfin, suite à une interview de plus de 2 heures que j’accordai, dans une brasserie parisienne, à cinq journalistes spécialistes de l’éducation (Libération, Café pédagogique, AFP, Les Echos), nous eûmes droit à plusieurs papiers de la part de ces médias.
Cette énumération ne doit pas abuser : nos travaux et le projet que nous avons portés ont été largement entourés de silence. La campagne était en effet à ce point détournée par le « Pénélopegate » et autres fabrications spectaculaires, qu’elle était en proportion inverse propice au débat de fond. Sans doute également ne souhaite-t-on pas nous donner une audience qui solliciterait une écoute d’ampleur, du fait que nos propositions, le plus souvent de pur bon sens, sont partant populaires, au point de susciter largement l’adhésion. Et quand ce que nous disons se trouve relayé, c’est le plus souvent pour être détourné et perverti (à ce titre, l’article tiré par François Jarraud de notre entretien de deux heures constitue un cas d’école…).
Alors, « que faire ? » pour anticiper sur le titre de l’intervention que nous proposera tout à l’heure l’ami Marc [Chapuis], comment accéder à cette audience dont nous avons été largement privés à l’occasion de la dernière Présidentielle ?
Les enseignants patriotes réunis au sein de notre organisation mènent depuis près de quatre ans désormais un combat qui sera à terme, nous en sommes convaincus, gagnant. Ce combat se gagnera en approfondissant notre travail de fond, en poursuivant notre implantation, et en perfectionnant simultanément notre communication. Il passera peut-être aussi par de nouvelles formes d’engagement et par le renouvellement de nos coopérations.
Conjugué au présent, ce combat passe par une vigilance de chaque instant face à la situation actuelle d’un ministère conduit par un homme particulièrement expert en enfumage .
Comme vous l’avez noté, le mot d’ordre de cette première rentrée, sous l’égide de Jean-Michel Blanquer, est « l’Ecole de la confiance ». Eh bien je crois, même s’il y a fort à parier que les regards vont se dessiller d’eux-mêmes, qu’il faut vous mettre en garde. On peut en effet être à peu près certain qu’il n’y a strictement rien à attendre de bon de ce ministre.
Soulignons tout d’abord que ce slogan « l’Ecole de la confiance » est choisi par un homme qui est tout sauf neuf, Daniel [Philippot] l’a rappelé. N’oublions pas en outre qu’il s’agit du slogan choisi par le ministre d’un gouvernement qui est la pure synthèse UMPS, l’en-marchisme ou le macronisme n’étant rien d’autre que le subterfuge trouvé par ce vieux système pour se maintenir. Ne négligeons pas enfin qu’il s’applique à une Ecole dont les multiples dysfonctionnements sont d’une telle ampleur que, non, la confiance n’est nullement, hélas, de mise, et qu’il faudra un changement radical de politique scolaire pour prétendre la rétablir.
Ce slogan, « l’Ecole de la confiance », je le trouve pour ma part tout sauf rassurant ! Constitue-t-il un appel à nous laisser endormir par de belles déclarations, consistant au demeurant dans la reprise confinant à l’imposture de ce que nous-mêmes nous disons, en adéquation, du reste, avec les aspirations profondes d’une majorité de Français ? On perçoit tout de même fort nettement la stratégie démagogique…
Aussi, et j’en prends le pari, tout cela restera au stade de belles déclarations, et je vais désigner les principales raisons pour lesquelles ces belles paroles ne trouveront très probablement aucune traduction notoire dans la réalité. On le verra, il ne saurait donc être question d’accorder à Jean-Michel Blanquer aucun blanc-seing, ni de lui faire aucune « confiance », tant ce à quoi il faut s’attendre, c’est au contraire à ce que Jean-Michel Blanquer perpétue peu ou prou la politique scolaire qui a été menée depuis 40 ans et qui a conduit notre Ecole dans la situation dans laquelle se trouve.
D’une part, le nouveau ministre demeurera à la merci des lobbies syndicaux et continuera à plus ou moins cogérer ce ministère avec les « pédagogistes » de tous poils qui hantent les couloirs de la rue de Grenelle et verrouillent l’administration centrale. Faisons ici un bref rappel historique : nous l’avons toujours dit avec insistance, d’autant que beaucoup de choses dépendent de cela, nous restaurerons la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture à l’exclusive de toute autre… sur ce sujet majeur, il existe un précédent historique : Gilles de Robien avait déclaré lui aussi, en 2005, comme le fait aujourd’hui Jean-Michel Blanquer, qu’il imposerait la seule méthode syllabique, ce qui n’avait jamais trouvé la moindre traduction dans les faits. Pourquoi ? Il faut comprendre comment fonctionne un ministère. Je ne l’ai jamais relaté, mais vous vous doutez que dans la perspective où nous pourrions parvenir aux responsabilités, nous avions préparé la prise en main des ministères. C’est dans cette perspective que j’ai rencontré, un après-midi, dans une brasserie parisienne, l’un des membres des Horaces, le groupe des hauts fonctionnaires, qui fut membre du cabinet d’un ministre de l’Education nationale et connaît parfaitement, de ce fait, les rouages de la rue de Grenelle. Nous avons notamment consacré un moment à analyser les raisons pour lesquelles l’intention de Gilles de Robien concernant la méthode d’apprentissage de la lecture n’avait donc trouvé aucune traduction dans les faits, et il m’a appris que le cabinet du ministre, qui est très souvent pléthorique, passe son temps en quelques sortes à occuper, voire à divertir le ministre, en détournant son attention vers des choses souvent inessentielles, quand, dans le même temps, ceux qui prennent les mesures qui, elles, sont bel et bien suivies d’effets, ou au contraire en édulcorent ou en freinent d’autres, quand bien même ont-elles été annoncées par le ministre lui-même, ce sont les directeurs de l’administration centrale… De sorte que les déclarations d’un ministre, si elles ne s’accompagnent pas de la ferme volonté d’une reprise en main de l’administration centrale, ont tout lieu de demeurer lettre morte.
D’autre part, et c’est un point majeur que conférence après conférence je souligne, il est impératif, comme nous en sommes tous absolument convaincus ici, de recouvrer les différents pans de notre souveraineté : souveraineté monétaire, économique, législative, territoriale, etc. Eh bien, il ne faut pas négliger que le problème est rigoureusement identique en ce qui concerne la souveraineté de nos politiques scolaires. En effet, en cette matière aussi, sommes-nous tout autant inféodés à un certain nombre de directives de l’UE, directives réitérées, parce que la tristement célèbre « Stratégie de Lisbonne », cela remonte déjà à l’an 2000, mais les orientations de ces directives ont sans cesse été réaffirmées depuis, notamment par la « Stratégie Europe 2020 ». Ce sont donc ces directives perpétuées qui orientent, inspirent et guident les réformes que les ministres successifs ont servilement mises en œuvre. Et comme l’actuel ministre, chacun en est ici convaincu, ne s’affranchira évidement pas de ces directives et continuera donc à les suivre et à les appliquer, se perpétueront la logique du « marché de la connaissance », en lieu et place de la transmission du savoir, et tout particulièrement du savoir humaniste, le moins-disant en termes d’instruction instauré par le « socle commun de connaissances et de compétences », désignation toute orwellienne, puisque ce socle représente l’exact inverse de la transmission des savoirs fondamentaux, et l’application du modèle managérial appliqué aux établissements scolaires, en accroissant encore leurs marges d’autonomie. Ces diktats européistes, dont une fois encore le ministre actuel ne s’affranchira évidemment pas, ne peuvent bien sûr qu’inhiber le moindre volontarisme en matière de réforme et relèguent bien sûr toute déclaration de bon sens au rang de vœu pieux.
Dans ce contexte, comment pourrions-nous faire confiance, puisque le mot d’ordre est donc « l’Ecole de la confiance » ? Nous ferons au contraire preuve d’une vigilance extrême face à une situation qui se profile, et qui s’annonce comme beaucoup plus retorse que celle que nous avions connue avec la ministre précédente, laquelle, loin d’avancer masquée, était pétrie d’idéologie dans ce qu’elle a de plus massif, ce qui la rendait bien moins inattendue.
Notre vigilance par rapport à Jean-Michel Blanquer sera donc totale, car nous ne lui faisons aucune confiance !
La confiance que les Français doivent pouvoir placer dans leur Ecole ne reviendra en réalité qu’à la condition du Grand plan de sauvetage et de redressement dont elle a tant besoin, et à la préparation duquel nous avons œuvré et continuerons d’œuvrer d’arrache-pied.
L’Ecole ne redeviendra « l’Ecole de la confiance » que lorsqu’elle sera à nouveau l’Ecole de l’égalité, de l’égalité républicaine qui est l’exact contraire de l’égalitarisme, de cette égalité que porte si haut l’idéal républicain, et dont Pierre [Miscevic] a si excellemment parlé.
L’Ecole ne sera « l’Ecole de la confiance » que lorsqu’elle sera l’Ecole de la réalisation de soi pour chaque élève, ce qui suppose effectivement une claire différenciation des voies, une pratique systématisée et toujours positive de l’orientation, notamment vers la voie professionnelle, dût-elle être précoce, lorsque les appétences et compétences des adolescents sont manifestes, et cela sur fond d’ une revalorisation véritable de l’ensemble de la voie professionnelle qui ne doit plus, comme l’a dit Marc [Chapuis], demeurer une filière où est vif le sentiment de la relégation sociale. Car, il faut que l’Ecole soit le lieu de la fierté, de la fierté individuelle d’abord, mais aussi, car en préparant l’avenir individuel des enfants et des jeunes que la nation lui confie, elle a vocation à assurer tout autant l’avenir collectif de la nation, il faut qu’elle nourrisse la fierté nationale
L’Ecole ne sera « l’Ecole de la confiance » que lorsqu’elle sera l’Ecole de l’assimilation républicaine : c’est l’une de ses fonctions majeures qu’elle a bien bel et bien cessé de remplir, comme on l’a perçu, et de la façon la plus désespérante, à la défaveur des attentats terroristes qui ont frappé notre pays, et dont un certain nombre d’auteurs étaient passés par l’Ecole de la République. Notre Ecole a au contraire vocation à assimiler tous les enfants de France, quelle que soit leur origine, à la seule communauté qui vaille, c’est-à-dire à la nation !
L’Ecole ne sera « l’Ecole de la confiance » que lorsqu’elle sera redevenue l’Ecole de la sérénité, c’est-à-dire une Ecole qui aura banni la culture de l’excuse permanente, et qui aura restauré la pleine autorité des maîtres, en replaçant en son centre la transmission du savoir, car la véritable autorité est celle qui découle du respect naturel que doivent inspirer les maîtres, et ce respect découle du véritable accomplissement par ceux-ci de la mission qui est la leur, et qui est celle de transmettre le savoir.
Et ce n’est certes pas comme s’y dispose au fond Blanquer, créant l’illusion par ses belles déclarations faussement volontaristes, en renonçant a priori à la réforme d’ensemble et radicale dont notre système scolaire a un si urgent besoin au profit d’une valorisation des « initiatives locales », ce qui était d’ailleurs, au cours de la campagne, la perspective très clairement affirmée par les différents interlocuteurs en charge de représenter Macron sur les questions scolaires, que j’ai pu rencontrer notamment sur les plateaux, ce n’est certes pas en refusant le principe de la Grande réforme, dût-elle venir « d’en haut » que l’Ecole pourra retrouver la voie de l’égalité, de la sérénité, de l’autorité, de la transmission et de la fierté !
En réalité seule une politique impulsée et animée par une volonté politique sans faille permettra, en appliquant les bonnes solutions qui le plus souvent sont de simple bon sens, que l’Ecole redevienne tout cela !
Voilà donc, tout ce à qui nourrit notre engagement et notre travail qui consiste à préparer cette grande Réforme. Et c’est pourquoi les « 100 propositions pour l’Ecole et l’Université de demain » sont dorénavant un point de départ pour tout le travail qu’il nous reste à mener et à accomplir, pour le travail de fond qu’il nous appartient de continuer à conduire en vue de sauver l’institution scolaire à laquelle nous tenons tant.